Essai en Français
„Le silence du tas“ & „Interview imaginaire“
Zwei poetische Texte
Im Umfeld seiner Inszenierung „Le tas“ („Der Haufen“, 2002) verfasste Pierre Meunier eine Anzahl von poetischen Texten zum Thema, die online auf verschiedenen literarischen und kulturellen Plattformen veröffentlicht wurden. Anlässlich des 20. Jubiläums dieser damals Aufsehen erregenden Material-Inszenierung drucken wir hier zwei dieser Text wieder ab, welche die energetische Wirkung und auch Herausforderung des Haufens für die Spieler und die Zuschauer*innen deutlich machen.
von Pierre Meunier
Erschienen in: double 45: An die Substanz – Material im Figurentheater (04/2022)
Pas un souffle pas un cri pas un frisson
le silence du tas
énigme à ciel ouvert
le tas a peut-être tout dit lors de son entassement
qu'avons-nous entendu : un fracas
l'immense fracas de la confusion des chutes
chocs et cognements, propos indistincts
ça parle d'avenir terreux d'écrasement de la fin du voyage
de l'espoir de trouver du moelleux sous soi
de la violence des retrouvailles
de la dureté des pierres
de l'étonnement d'en être
des vertus rassurantes de l'enchevêtrement
du grincement des bennes
des chiens qui pissent
d'écroulements inespérés
du silence qui viendra quand tout sera tombé
du bonheur d'être tas en ce tas au coeur de ce tas-là
du malheur d'être tas en ce tas au coeur de ce tas-là
puis grand calme au sommet du tas
plus rien ne bouge le fracas s'est tu
un autre temps commence
Thaïs Schnarkle: Pour ce spectacle a priori sans texte, comment avez-vous abordé le travail ?
Pierre Meunier: Nous avons procédé par étapes. En juin 2001, après trois semaines d’exploration, nous avons présenté chez Chantal Morel, au Petit 38 à Grenoble, un état de travail, quelque chose de complètement brut et sans articulation. Ces quelques soirées où nous testions chaque fois des moments différents nous ont permis de vérifier la qualité du lien qui peut s’établir entre le spectateur, le « tas » et deux hommes sur le plateau. Elles ont été en cela décisives pour la poursuite du travail. Elles ont également confirmé la nécessité d’un dispositif scénique propice à la confidence plus qu’à la démonstration. Le spectateur doit être suffisamment proche pour pouvoir ressentir physiquement la présence du « tas », la chute des pierres, le grain de la tôle. D’où le choix d’un petit gradin en fer à cheval de deux cents places environ que nous faisons voyager avec nous. Ainsi le public accueille le « tas » en son centre, en son coeur.
Au Théâtre de la Bastille, nous aménagerons la salle pour retrouver un dispositif d’embrassement à peu près semblable. Toute l’équipe s’est ensuite retrouvée pendant deux mois et demi à Rennes pour construire le spectacle. Dans une grande structure-tente prêtée par Igor (de la Volière Dromesko), nous avons monté ce gradin et expérimenté toutes sortes de mouvements de matière : rochers, cailloux, sable, petits pois, plumes, tôles, boules ... Chutes, soulèvements, projections, écoulements, écroulements ... Le son et la lumière étant étroitement associés à cette exploration. Une période très ludique pleine de découvertes inattendues.
Nous avons rencontré des chercheurs en milieux granulaires de l’Université de Rennes ainsi que du L.M.D.H. (Laboratoire des Milieux Désordonnés et Hétérogènes) et intégré des éléments de leur recherche au travail. Un corps brut s’est peu à peu dégagé de cette abondance de moments, exigeant de notre part un soin et une concentration sans faille. La première présentation a eu lieu le 26 février 2002.
Thaïs Schnarkle: Vous semblez prêter des intentions au « tas ». Est-ce que ce n’est pas une interprétation de votre part, dont vous avez besoin pour nourrir votre travail, mais que le public ne partage pas forcément?
Pierre Meunier: Mon voeu est de créer les conditions propices à une rêverie autour de la matière. La rêverie ne se décrète pas, elle relève d'un usage cavalier du temps, elle advient par surprise, par aimantation impromptue. Nous crevons de son manque, nous en crevons sans le savoir, mais avec une belle obstination.
La permission de rêver, nous nous l'accordons de plus en plus parcimonieusement, avec la mauvaise conscience de déserter son poste. II y aura toujours des choses bien plus importantes à faire que de s'arrêter devant un « tas » de pavés mouillés. Quand la soirée commence, le spectateur a vécu des heures, des jours, des mois, entravé de la sorte. Ce n'est pas sur un claquement de doigts ou une déclaration d'intention qu'il va s'abandonner, qu'il va accepter sans frustration d'éprouver autrement la durée.
Mais il a fait l'effort de venir et c'est déjà le signe d'un désir d'autre chose. à nous, acteurs, d'être à ce point captivés, émus, inquiétés par le « tas », pour que peu à peu le spectateur, touché par la sincérité de notre intérêt, accepte notre invitation au vagabondage.
Pouvez-vous imaginer le pouvoir de provocation de cette plénitude silencieuse au coeur du théâtre? De quoi avons-nous l'air en face, avec nos désirs contradictoires, nos commentaires redondants, nos gestes gauches, et tout notre fatras de vieux renards de scène? Et j'y inclus également ceux qui ont en charge le son, la lumière et la machinerie, partenaires essentiels, eux aussi tentés par des stratégies qui ont fait leurs « preuves ». La présence du « tas » exige de notre part à tous un abandon au présent qu'il n'est pas possible de feindre, au risque de verser dans un simulacre indigne, qui fera de nous des pitres et du « tas » un piètre accessoire de décor.
Thaïs Schnarkle: Justement le « tas », les cailloux. Une fois qu'on a vu que c'étaient des cailloux, bon …
Pierre Meunier: Détrompez-vous. Jean-Louis Coulloc'h et moi n'avons jamais eu aussi peur avant d'entrer sur un plateau. Peur justement de n'être pas à la hauteur de ce qu'exige, éclatante et dérisoire, la présence du « tas ». Le « tas » EST là. Cela lui suffit, le remplit et lui donne cette forme à nos yeux. II ne joue rien, il ne cherche pas plus à se fuir qu'à se montrer, il ne cultive pas son silence, le succès l'indiffère …
La peur dont je parle vient de la nécessité pour nous d'éprouver chaque soir un appétit illimité pour ces pauvres cailloux, à l'instant de faire le premier pas vers eux. Cet appétit est la condition génératrice de ce travail. Lui seul peut apaiser l'inquiétude initiale du spectateur, parfois moqueuse, pour le mettre en confiance, le rapprocher de lui-même et l'amener par sympathie à accueillir la naissance du poème en lui.
Thaïs Schnarkle: Mais pourquoi précisément le « tas » et non … la boue, le dos de la femme ou le sommet de l'arbre?
Pierre Meunier: L'attraction se moque des idées préalables. J'ai été attiré par des « tas ». De plus en plus souvent et de plus en plus longuement. Arrêté dans ma course mais stimulé dans mes perceptions, éprouvant le sentiment grandissant d'un réconfort, d'une réconciliation entre le monde et moi. Quelque chose de l'ordre du vivant dans les fondations, le temps d'un rayon de lumière dans une profondeur constamment menacée de comblement. C'est ce qui rend pour moi ce travail absolument nécessaire et urgent.
Interview imaginaire réalisée le 31 août 2002 au buffet de la gare de Bochum (Allemagne) entre Thaïs Schnarkle et Pierre Meunier.
Die beiden Texte sind erstmals erschienen auf www.theatreonline.com/Spectacle/Le-Tas/4612#Présentation. Wir danken Pierre Meunier (www.labellemeuniere.fr) für die Genehmigung zum Abdruck. – Eine deutsche Übersetzung ist auf www.double-theatermagazin.de einsehbar.